Si le Web est la vitrine, où est le vendeur ?
Jean-Marie Chauvet
Chronique, Le Monde Informatique, 1997

Alors que la surprenante révélation vient de foudroyer, par ces temps de chaleur orageuse, le gouvernement à Hourtin - la France serait en retard face à la révolution des technologies de l'information - on se propose de donner une directive à une entreprise publique (France Telecom) et d'accorder des dégrèvements fiscaux aux ménages pour leurs achats télématiques. Cocorico ! Le Minitel était en fait un network computer qui s'ignorait : apprenons-lui HTML et le tour est joué. D'ailleurs son succès époustouflant - 25 000 serveurs en dix années laborieuses - ne se compare-t-il pas favorablement à celui du Web - aujourd'hui 100 000 sites par mois !

En tout cas le déficit industriel de la France avec les États-Unis continue à se dégrader pour atteindre la bagatelle de 27 milliards de francs en 1996, dont 15,6 milliards de matériel informatique. Aux États-Unis, face à la croissance explosive du commerce électronique - 2.6 milliards de dollars en 1996, pour 220 en 2001, d'après Goldman Sachs -, l'annonce, cet été, par le président Clinton du Framework for Global Electronic Commerce (Cadre pour le commerce électronique global) propose un rôle minimal de l'État, et appuie sur l'initiative individuelle et la créativité décentralisée. Tendance renforcée par l'accord du 26 mars 1997 signé par quarante gouvernements dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce qui prévoit d'éliminer à terme complètement tous les droits de douane sur les ordinateurs et les appareils de télécommunications. Au pays de l'exception culturelle qui a aussi inventé la taxe sur la valeur ajoutée, tout ceci est vu d'un mauvais œil - mais le nouveau locataire de Bercy, apprend-on dans Challenges, est un véritable hacker : "à distance, il répare les pannes de l'ordinateur de sa fille à New York" et "lorsqu'il a des loisirs, joue à Warcraft en se connectant à Internet avec son fils" ! Avec un Minitel probablement...

Pourtant rien n'est encore joué. Le shopping en-ligne devrait croître de 1 à 6 milliards de dollars d'ici à 2000 : Cisco et Dell sont aujourd'hui les grands pionniers, qui offrent leurs produits via le Web. Le commerce d'entreprise à entreprise devrait passer, d'après Forrester Research, de 8 milliards de dollars aujourd'hui à 327 en 2002. L'opportunité est là : aujourd'hui le Web est une bien belle vitrine, mais au (cyber)pays du commerce électronique le client est plus que jamais roi. Alors que le client peut d'un simple clic comparer, hésiter, choisir entre un nombre incomparablement plus grand d'offres toujours plus variées, le fournisseur doit à tout prix attirer, retenir puis fidéliser le prospect anonyme et surfeur. Ce dernier, quant à lui, passe toujours plus de temps à dénicher l'information pertinente quand il en a besoin et à se demander comment la retrouver plus tard. Bref, il n'y a plus de vendeur !

Le commerce électronique et son nouveau support, le Web, modifient considérablement la nature de la transaction commerciale entre client et fournisseur. Il devient essentiel d'enrichir la page Web descriptive du produit ou du fournisseur - le Web brochure - de systèmes de navigation et d'orientation, d'autant plus avancés que la base potentielle de client est large. Fin août, General Motors mettait en place sur son site Web une application interactive de configuration de voitures très sophistiquée - prenant en compte les disponibilités de son réseau de revendeurs, les promotions éphémères, les options et les suppléments - bâtie entièrement autour d'objets et de règles métier. Sur amazon.com, des moteurs de recherche utilisent les commentaires fournis volontairement par les lecteurs précédents pour proposer des livres proches de vos intérêts particuliers - engendrant une sorte de cyber ouï-dire automatisé. Le commerce électronique ne peut s'envisager, à l'échelle projetée par les analystes, sans la banalisation de la séparation des règles métier du contenu proprement dit, dans des serveurs indépendants et autonomes, destinés à l'intermédiation entre le client et le fournisseur. Les règles métier négocient le nouveau numéraire du Web, l'attention du prospect navigateur, pour le fournisseur ; elles assistent et orientent le client, réduisant ses frustrations devant le volume croissant et la qualité difficilement estimable de l'information disponible.


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